Publié en 1932 par la maison d'édition de Denoël et Steele, Le Voyage au bout de la nuit est une roman semi-autobiographique et fictionnel écrit par l’auteur français Louis Ferdinand Céline suite à son engagement durant la Première Guerre mondiale. Il y figure ses mémoires, et exprime de manière directe et parfois provocatrice sa misanthropie, son pessimisme et son mépris envers le monde. De plus, il maintient solidement que la lâcheté est le seul moyen de fuir de cette guerre, qui est d’ailleurs comparée à un « abattoir international en folie » (p. 77).
Dans son histoire, le narrateur et personnage principal Bardamu (incarnant Céline), âgé de vingt-cinq ans en 1914 et se battant sur le front, tombe dans la misère en réalisant l'absurdité de la mort et de la destruction, mais avant tout, de cette guerre. En effet, son enthousiasme patriotique en vue de se battre pour la France ne fut que temporaire.
Bardamu tenta de se rebeller en se désertant avec un ami, Robin, mais n'y parvint pas. Malgré tout, son plan de fuite n'échoua pas totalement. À cause des blessures qu’il subit dans une mission dangereuse, Céline fut envoyé aux soins à Paris, à la fois traumatisé des atrocités vécues mais aussi soulagé de leur suspension. Durant ce temps, il eut deux affaires romantiques avec des certaines Lola, une infirmière américaine, et Musyne, une violoniste.
Parmi les passages marquants de ce roman, voici quatre d’entre-eux qui représentent particulièrement bien la guerre, selon moi :
1) «Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. » (p. 5)
Ce passage peut faire référence à l’illusion d'exploit accordée aux soldats lorsqu'ils s'entretuaient ; cette « force» mentionnée ne se fonde que sur l'assassinat, la victoire militaire, et c'est pourquoi elle contribue à l'aspect « imaginaire ». En effet, les français pensaient que la guerre serait courte et que la victoire de la France sûre. Vu que la guerre était plus longue et brutale que prévu, les soldats furent face à une violence psychologique, celle de la démoralisation, du traumatisme sévère tel que shell shock,
contribuant donc à ces «déceptions et fatigues».
2) « Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. » (p. 18)
Cette description déshumanisante se relie aux horreurs auxquelles les soldats Françaisfaisaient face durant la Première Guerre mondiale. Effectivement, ce passage fait allusion à l'extrême violence physique qu'endurèrent les soldats ; «ces viandes [qui] saignaient» sont leurs corps démembrés, blessés, ceux des morts ou des survivants. Ce derniers devenaient des Invalides, des victimes d'un handicap fonctionnel ou bien des gueules cassées, en d'autre termes des soldats souffrant de graves déformations corporelles, surtout faciales. Plusieurs batailles sont connues pour leur lourd bilan humain durant cette Grande Guerre ; par exemple, la bataille de Verdun du février 1915 jusqu'au au décembre 1916, avec environ 200 000 morts, allemands ou français. Cependant, dans cette guerre mondiale, une des majeures raisons pour lesquelles ces soldats « saignaient énormément » par cette violence physique est le développement de nouvelles technologies efficaces et destructrices, grâce à la Révolution Industrielle de 1848 ; un nouvel armement s'est apparu, prenant en compte, par exemple, les obus, les mitrailleuses, les gaz asphyxiants, ou encore les tanks.
3) « Vous êtes donc tout à fait lâche ! Vous êtes répugnant comme un rat [...] Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans [...] et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. » (p. 65)
Ce dialogue entre Lola et Bardamu, prononcé en 1915, fait directement allusion au statut de lâche assigné par la société envers les déserteurs, commettant une haute trahison envers leur patrie. En outre, partout dans divers médias en France, que ce soit dans les journaux ou sur des affiches, la propagande était diffusée, illustrant une image du soldat français triomphante et héroïque. En lisant ce passage, nous pouvons d'ailleurs même nous croire au printemps de 1917, durant lequel s'organisèrent de nombreuses mutineries sur quasiment tous les fronts en France ; les soldats épuisés considéraient les offensives ordonnées par leurs chefs militaires absurdes et inutiles, et ne voulaient pas mourir pour rien, comme dans le cas de Bardamu. Ces mutineries aboutirent à la fusillade d'environ 723 français pour donner l'exemple et montrer le sort des soldats qui n'obéissaient pas aux ordres.
4) « la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar » (p. 418)
À part de la violence physique envers les soldats que nous avons déjà abordée avec les citations précédentes, cette quatrième inclut aussi la maladie, fruit des conditions de vie terribles des soldats dans les tranchées. Ces soldats des tranchées furent exposés au froid hivernal, à la boue et la pluie, aux rats, le ravitaillement étant mal assuré, mais aussi aux les maladies ; parmi les plus répandues durant la Grande Guerre, on y trouve le pied des tranchées ou encore le typhus, liées à leurs difficiles conditions de vie. C'est d'ailleurs le manque d'hygiène de ces soldats durant la guerre de position défensive, c'est-à-dire principalement dans les tranchées, du novembre 1914 au mars de 1918, qui leur ont donné leur surnom de poilus. Dans une optique historique, je dois avouer ne pas avoir vraiment apprécié la perspective limitée des femmes que Céline illustra dans son roman. Au lieu de leur objectification sexuelle intensive et répétitive, aux côtés d'un peu de misogynie, j'aurais à vrai dire préféré si Céline avait développé davantage le thème de la mobilisation des femmes durant la Première Guerre mondiale, et peut-être aussi leur importance dans les domaines économiques et financiers, en tant qu'infirmières ou munitionnettes. Pourtant, c'est vrai qu'il éclaire une facette bien
répandue durant la Première Guerre mondiale dans son roman : celle de la prostitution et du viol. Voici deux exemples parmi les nombreux qui n'associent seulement les femmes à un corps de perfection, la distraction, ou encore l'érotisme :
« La véritable aristocratie humaine, on a beau dire ce sont les jambes qui la
confèrent, pas d’erreur. » (p. 228)
« C'est bien agréable de toucher ce moment où la matière devient la vie. On
monte jusqu'à la plaine infinie qui s'ouvre devant les hommes. » (p. 474)
De façon générale, l’histoire pathétique de Céline démontra avec émotion la violence psychologique et physique à laquelle étaient exposés les soldats (et les civils) durant la Première Guerre mondiale, surtout l'épuisement des combattants quand ils commençaient à se questionner sur les raisons pour lesquelles ils se battent, réellement. De surcroît, le thème de la lutte pour la survie y était omniprésent. Hormis cela, Céline dévoila aussi des sujets parallèles comme les atrocités du colonialisme et l'impérialisme, un exemple de destin des Invalides, les civils mobilisés (infirmières, docteurs, ouvriers, etc.), ou encore les vagues d’immigration des européens envers l'Amérique. Céline, dans ce roman de désespoir, ne voit d'autre façon de se libérer qu’avec la mort ; il semble effectivement sensible aux peines humaines évoquées mais n’offre aucune solution. Selon moi, la mentalité exprimée par Céline dans ce livre ne peut pas être suivie si l’on souhaite que nos sociétés progressent. Il est impossible pour notre monde d’accepter sa profonde anarchie et sa répulsion. Néanmoins, son effort pour enlever les camouflages, démolir le décor des illusions, et éveiller notre conscience de la dégradation actuelle de l’humain est évident.
Seulement, après une recherche plus complète sur sa vie, une information décevante s'est révélée concernant Céline ; qui saurait que à travers ce roman inspirant le pacifisme et l’anti-nationalisme durant la Première Guerre mondiale que ce Céline deviendrait un antisémite soutenant Hitler durant la Seconde Guerre mondiale ?